Lettre ouverte : L’ODbL : La licence par excellence pour l’Open Data dans le transport

De récentes réflexions proposent la création d’une nouvelle licence spécifique au transport lors de la publication des données open data, comme le prévoit la LOM.

L’association OpenStreetMap France considère que cette proposition, bien que légitime dans ses objectifs, mènerait nécessairement à une fragilisation du cadre juridique de publication et d’utilisation des données ouvertes en France.

La licence ODbL, actuel standard contractuel reconnu au niveau national autant qu’international, doit demeurer le socle de notre stratégie collective de collaboration et non pas être remplacée par une licence exotique instaurant de nouvelles barrières d’utilisation.

Licence de réutilisation vs CGU

Les licences ont pour but de définir les règles de réutilisation concernant des données, un contenu ou du code source (soumis à une propriété intellectuelle), là où les CGU (Conditions Générales d’Utilisation) définissent les règles d’accès à un service.

En instaurant un “principe d’identification du réutilisateur” la “Licence Mobilité” impose une déclaration d’utilisation des données.

Elle mélange ainsi des concepts très différents et intègre des clauses qui relèvent des CGU pour accéder et utiliser un service et non pas pour la seule réutilisation des données, objet habituel et exclusif d’une licence.

Pour des besoins légitimes de régulation d’usages de services (tels que des API), la “licence Mobilité” impose à tous les réutilisateurs potentiels des contraintes qui n’ont plus de rapport avec le besoin légitime initial comme l’authentification ou l’intégration du paiement éventuel directement dans la licence.

L’authentification obligatoire

Par ailleurs, inclure cette obligation dans la licence limite très fortement les réutilisations indirectes des données. Ce frein à la réutilisation relève uniquement des CGU, comme l’atteste sa référence.

Si un concédant met en place un accès authentifié, celui-ci s’imposera-t-il en cascade ?

Il ne serait pas possible par exemple d’inclure ces données dans OpenStreetMap car aucune traçabilité des réutilisateurs n’est ni prévue ni souhaitable.

Il ne serait pas possible de publier directement ces données sur un portail open data sans qu’un système d’authentification soit prévu et conforme ; quid d’une entreprise étrangère non inscrite à l’INSEE et dépourvue de N° SIREN ? Ne pourrait-elle pas avoir accès aux données ?

Cette authentification en cascade, en plus de brider l’innovation, limiterait aussi les possibilités d’archivage et de miroir par des acteurs tiers.

Dans le cas où il n’y aurait pas d’authentification en cascade, il n’est nul besoin d’aborder le sujet dans la licence de réutilisation des données car les réutilisateurs ne voulant pas s’authentifier accéderons à des sources secondaires (miroir, archives, portail tiers, etc).

Ainsi, l’ajout de nouvelles contraintes, même si elles peuvent apparaître comme “mineures” lors de leur rédaction entraîne d’importants effets de bord négatifs en cascade.

Les compensations financières

Cette compensation est explicitement prévue en lien avec un service de fourniture des données (typiquement une API).

Une fois de plus, cette mention doit figurer dans les Conditions Générales d’Utilisation d’un service, auquel d’ailleurs la licence fait à nouveau référence et pas dans les règles de réutilisation des données en elles mêmes.

Incompatibilité avec l’ODbL

Il n’est pas possible de republier des données sous licence ODbL sous cette nouvelle licence car de nouvelles obligations sont imposées au réutilisateur. La licence ODbL interdit formellement cet ajout dans sa clause 4.8 : « You may not impose any further restrictions on the exercise of the rights granted or affirmed under this License. »

Les AOM (Autorités Organisatrices de Mobilités) devront donc préalablement vérifier qu’aucune source ODbL n’aura été utilisée dans les données qu’elles souhaiteront publier sous “Licence Mobilités” et à l’avenir ne pourront plus non plus s’appuyer sur ces sources ODbL.

Il s’agit donc d’une rupture inconciliable avec l’écosystème établi, créant de facto une nouvelle branche “mi-open-data” indépendante.

Compatibilité avec la stratégie de mobilité

Cet article de la licence fait référence :

  • au “livre II du Code des Transports”, qui concernent le transport de marchandises ;
  • aux “Schémas directeur d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires” (SRADDET).

En quoi ces schémas s’appliquent à d’autres acteurs que les collectivités ?

Détournement de l’esprit du règlement européen et de la LOM

Le règlement européen 2017/1926 et la LOM ont été créé avec un objectif très clair : l’ouverture des données se fait au service de l’intérêt général. Évoquer l’intérêt général pour justifier l’ouverture des données est un détournement de l’esprit de ces textes.

Le risque de balkanisation des licences

Les auteurs de la “Licence Mobilités” remarquent à raison que “la multiplication des licences étant à l’évidence un obstacle à la réutilisation des données, la nécessité de converger vers une « licence-type » a rapidement émergé.”

Nous ne pourrions pas être plus d’accord. La création d’une licence supplémentaire “franco-française” et exotique semble néanmoins aller dans le sens inverse du but visé.
Illisible et incompatible avec les acteurs étrangers, notamment en Europe, une nouvelle licence ne pourrait qu’affaiblir le cadre législatif existant et réduire les réutilisations par le flou juridique qu’elle amène.

Ce flou se manifeste sur au moins deux points:

  • la référence à des CGU
  • la référence à la stratégie de mobilité de chaque AOM

Ces deux éléments étant spécifiques à chaque AOM, la “Licence Mobilités” au lieu de proposer un cadre unique facilitant la réutilisation des données, ouvre au contraire la porte à une multiplication des règles par leurs adaptations locales.

Ne pas pénaliser les plateformes ouvertes

Au-delà des questions juridiques, les acteurs publics (AOM, administration centrales et locales) devraient considérer l’impact du choix de la licence avec le plus grand soin.

Cette proposition de licence est en effet compatible en l’état avec l’usage des acteurs dominant du monde du transport (Google Maps en tête) mais deviendrait incompatible avec les producteurs actuels de données ODbL (dont OpenStreetMap).

Que deviendraient les données existantes des transporteurs et entreprises du transport déjà publiées en ODbL ? Ces données seraient incompatibles avec la “licence Mobilités”. Il ne serait plus non plus possible d’intégrer des données ODbL provenant de source externes à l’AOM.

L’usage de l’ODbL est bien plus large que le monde du transport : c’est le standard mondial des données ouvertes. C’est le socle de projets citoyens d’importance majeure, dont OpenStreetMap est le fer de lance.
Adopter la “licence Mobilité” incompatible avec l’ODbL, c’est aussi se couper de ce riche écosystème ouvert et favoriser les acteurs dominants.

Conclusion

Nous considérons que la “licence Mobilités”, si elle était adoptée en l’état, entraînerait une rupture de neutralité de traitement entre les différents acteurs. Elle mènerait à un affaiblissement du cadre juridique général et exclurait et affaiblirait durablement l’écosystème open data et en particulier le projet OpenStreetMap.

Nous appelons en conséquence tous les acteurs du transport à continuer à utiliser la licence ODbL, socle et standard de la politique open data dans le secteur du transport.

Nous suggérons au groupe de travail ayant produit la “licence Mobilité” de ré-orienter leurs travaux vers la rédaction de CGU standardisées pour les acteurs du transport. Ces CGU seraient les plus à même de couvrir les problématiques qui ne relèvent pas de la réutilisation de données mais de la fourniture d’un service (tel qu’une API).