Réseaux électriques, changement climatique et OpenStreetMap

Le projet OpenStreetMap a désormais plus de 20 ans. La communauté qui y contribue alimente une base de données géographiques utiles dans de multiples domaines. Par exemple pour la transition énergétique et sur les réseaux électriques. L’intensification des phénomènes climatiques comme les tempêtes ou les incendies exposent les réseaux électriques à des perturbations de plus en plus importantes. Ils doivent être renforcés pour s’y adapter.

La connaissance patrimoniale de ces réseaux a souffert d’un certain désintérêt en France depuis les années 1990. Cela à cause de décisions marquantes pour leur enfouissement et « parce qu’ils se voient ». Plusieurs décennies sont pourtant nécessaires pour résorber la capillarité des réseaux de distribution. Il faut donc mieux les décrire, ne serait-ce que pour patienter ou mieux les maintenir pour ceux qui ne pourront pas être enterrés. C’est le cas du réseau de transport national à 400 000 volts qui restera en majorité aérien.

Une telle connaissance est fastidieuse et coûteuse à produire ou à maintenir sans outils adaptés. Nous avions déjà parlé de cette collecte de fond accomplie à propos du réseau de transport d’électricité, voir notre article d’avril 2020. Les exploitants sont aussi engagés dans d’autres plans d’investissements très importants. L’inventaire des réseaux aériens sur OpenStreetMap a commencé en France en 2008, par le réseau de transport le plus visible. Une structuration plus importante a débuté en 2015 et 10 ans plus tard nous franchissons une nouvelle étape de ces travaux avec une expérience renforcée.

Adapter les réseaux électriques au changement climatique

Dégâts de la tempête Rita au Texas en 2005
Bob McMillan / FEMA Photo

Le changement climatique présente des défis qui nous imposent d’adapter nos modes de vies et nos infrastructures. Les événements surviennent à un rythme de plus en plus exigent. Ils nécessitent des études d’exposition aux risques de plus en plus poussées pour maintenir un niveau de résilience acceptable.

Les tempêtes Lothar et Martin de fin 1999 nous ont rappelé la sensibilité des réseaux électriques aériens aux « coups de vents » ou aux épisodes de neige collante. RTE qui exploite le réseau de transport d’électricité a d’ailleurs mis en ligne une rétrospective intéressante à ce propos (https://www.rte-france.com/l-heritage-de-la-tempete/). Les tempêtes Ciaran (2023, 1.2 millions d’abonnés coupés) et Caetano (2024, 600 000 abonnés coupés) ont significativement impacté les réseaux électriques. Enedis a mis en place une stratégie industrielle de restauration des réseaux de distribution des zones côtières de l’hexagone. Elle devrait durer plusieurs années après avoir identifié précisément les zones à renforcer.

Est-ce seulement possible de s’adapter tout en disposant d’une connaissance patrimoniale des réseaux existants limitée ? Comment faire sans ou comment la reconstituer de manière efficace ?

Nos réseaux aériens sont vulnérables aux tempêtes et aussi aux incendies. Ils peuvent aussi en déclencher (voir le cas du Camp Fire dû au manque d’entretien des ouvrages de Pacific Gas & Electricity en Californie en 2018). Très récemment l’exploitation des réseaux électriques est aussi questionnée à Pacific Palisade. OpenStreetMap permet de décrire avec un haut niveau de détails les lignes aériennes et aussi leurs supports. Il devrait être possible de mutualiser cette connaissance avec celle des exploitants pour parvenir plus rapidement à la complétude. Cela permettrait de réaliser des études de sensibilité au vent ou aux incendies plus précises pour résorber au maximum les zones vulnérables. En 2021, l’association a d’ailleurs signé un partenariat stratégique avec Enedis pour y parvenir.

Et en France ?

En France, les gestionnaires des réseaux électriques assurent une surveillance et entretiennent régulièrement la végétation à leurs abords. La tenue à jour de la connaissance est nécessaire au maintient de ces processus. Nous pourrions collectivement les optimiser davantage par une connaissance plus fine des infrastructures et une meilleure communication au sujet de ces opérations.

Ontologie et outillage pour les réseaux électriques

Une ontologie compréhensible et rationalisée est nécessaire pour produire une connaissance utile (voir cette présentation de juin 2022). En 2015 il n’existait pas de standard national sur lequel s’appuyer. L’ambition pouvait être de produire un commun utilisable au niveau mondial pour favoriser l’interopérabilité au sein d’un pays ou entre les logiciels qui utilisent ces données au niveau d’un continent. La communauté OpenStreetMap savait déjà correctement décrire des lignes et elle a pu se concentrer sur la description des supports, pylônes, poteaux en particulier. Voir la documentation disponible sur le wiki.

Plus particulièrement à propos des réseaux aériens, la sémantique qui qualifie aujourd’hui les pylônes et poteaux électriques repose entre autres sur trois attributs principaux. Ils ont été discutés dans trois propositions soumises aux votes de la communauté :

  • line_attachment (2019, 23 votes favorables) : décrire les armements des lignes aériennes sur leurs supports
  • line_management (2020, 20 votes favorables) : décrire les topologies particulières constituées par les lignes aériennes aux abords de leurs supports
  • line_arrangement (2023, 11 votes favorables et 2 contres) : décrire la configuration des conducteurs d’une ligne électrique (triangle, nappe, drapeau…)

Voir cet article en anglais de janvier 2020.

Des outils open source

L’outillage est également un actif important pour favoriser la contribution et rendre les données utilisables.

Deux quêtes supplémentaires sont arrivées dans l’application mobile StreetComplete. Elles permettent de qualifier le matériau des supports électriques et l’armement des lignes qu’ils supportent. Cela facilite la collecte directement depuis le terrain d’informations peu discernables sur les vues aériennes.

Parallèlement, la communauté développe puis maintient un ensemble d’outils pour collecter puis tenir ces données en qualité. Par exemple plusieurs analyses Osmose signalant des incohérences ou des absences par rapport aux données ouvertes disponibles. Cela permet d’assurer la maintenance de l’information sur le long terme dans les pays où c’est possible.

Gespot.fr est en ligne depuis l’automne 2020. Il joue le rôle de démonstrateur mettant en valeur les données descriptives des réseaux aériens produites par la communauté.

L’outillage comme l’ontologie constituent une méthode originale de description patrimoniale des réseaux électriques aériens. Ils sont communs aux réseaux de transport et de distribution qui ont de nombreuses similitudes. Des passerelles sont à construire avec le géostandard Star-Elec, utile à la réconciliation des données ouvertes de différentes origines.

Ils sont disponibles selon des licences permettant leur réutilisation à certaines conditions. Elles préservent les intérêts de la communauté et des réutilisateurs. Bien sur, le chemin n’est pas terminé. Il est toujours possible d’améliorer l’édifice commun pour qu’il puisse rendre autant de services qu’espéré.

Données ouvertes et inventaire des infrastructures

La communauté OpenStreetMap sait produire de l’information de façon vertueuse en traitant les données ouvertes disponibles. Elle restitue une connaissance enrichie de ses observations de terrain. Il s’agit avant tout de données statiques qui ne visent pas à décrire l’état du réseau à un instant t.

Les contributeurs des 5 continents utilisent désormais l’ontologie présentée ci-dessus. Elle montre un rythme d’adoption rapide, en remplacement d’autres propriétés historiques qu’il fallait remplacer.

Au début de l’année 2025, les trois attributs principaux cumulent 450 000 usages (line_attachment 309 000, line_management 124 000 et line_arrangement 17 000) bien que des millions de supports restent à découvrir.

Il était nécessaire de repasser sur les objets existant munis d’anciens attributs puis de continuer à collecter plus efficacement les informations sur le terrain à propos de nouveaux objets.

De multiples opérations ont lieu en parallèle. Sur les réseaux de distribution en partenariat avec Enedis ou sur le réseau de transport à l’initiative de plusieurs contributeurs. Ce raffinage permanent du contenu de la base de données permet d’atteindre une cohérence et une exhaustivité remarquée par des équipes de chercheurs. Ils alimentent désormais des logiciels open source de modélisation des réseaux électriques avec OpenStreetMap (voir la publication de Bobby Xiong et al.).

La situation en France

… du réseau de transport d’électricité

Grâce aux données ouvertes publiées depuis 2017, entre autres choses, la communauté OpenStreetMap a intégré et fiabilisé 255 000 supports du réseau de transport d’électricité. Une personne au moins est repassée sur chacun de ces points pour les repositionner au besoin ou apporter davantage de qualification attributaire.

Cela permet aujourd’hui de restituer 2 300 signalements de divergence de positions, d’absence ou de persistance de supports connus du référentiel de l’exploitant. Ces signalements peuvent être légitimes comme faux. Seule une collaboration permettra de fiabiliser cette connaissance commune. Nous souhaitons qu’OpenStreetMap puisse le permettre en tant que plateforme. C’est d’ailleurs déjà le cas dans d’autres domaines. Par exemple pour la gestion de la voirie où des gestionnaires ont mis en place des passerelles intelligentes (voir le logiciel LeBontag).

En France, les pylônes sont construits selon des silhouettes normalisées. En dehors de toute considération mécanique, la silhouette fait partie du paysage. Elle permet de connaître la géométrie des conducteurs et la largeur de leur emprise au dessus du sol. OpenStreetMap peut donc attribuer une étiquette conforme aux familles existantes. Au terme d’une campagne d’un an et demi, près de 10 contributeurs ont réalisé l’inventaire des silhouettes de supports du réseau de transport d’électricité à 400 000 volts. Nous cherchions à réunir une connaissance d’éléments bien visibles sans attendre de découvrir d’irrégularité particulière. L’ontologie et l’outillage mis en œuvre se sont révélés efficaces pour produire puis réviser régulièrement l’inventaire à construire. Tant et si bien qu’il est possible de produire l’état des lieux suivant :

Représentation de l’inventaire des 27 652 supports du réseau électrique 400 000 volts français / 10 % des 255 714 pylônes du réseau de transport
… du réseau de distribution d’électricité

Côté réseaux de distribution, la reconstitution de l’inventaire des poteaux mené en partenariat avec Enedis est toujours en cours, fort de l’effort de plus de 2 000 personnes depuis 3 ans. Le cap du million de supports Enedis dans la base nationale a été franchi fin 2024, portant l’effectif tous exploitants confondus à 1.5 millions. Voir pour cela la plateforme dédiée en ligne.

Ces efforts sont complémentaires à ceux des exploitants chargés d’adapter le réseau selon les modalités évoquées ci-dessus. Ces adaptations seront plus efficaces et rapides en se basant sur la connaissance du terrain la plus précise. Les données produites seront utiles pour affiner les études de sensibilités même si ce caractère n’est pas directement présent dans la base de données OpenStreetMap.

Perspectives

La démarche de la communauté OpenStreetMap constitue une manière originale de traiter l’information géographique et de produire une connaissance métier sur des sujets aussi précis que la gestion patrimoniale des réseaux électriques aériens. C’est aussi le cas dans bons nombre d’autres thématiques. Ces données sont nécessaires pour adapter nos réseaux aux aléas climatiques de plus en plus violents.

Les bonnes volontés permettant l’atteinte des objectifs de complétude ou le soutien de la démarche par tous les acteurs concernés dans les meilleurs délais sont les bienvenues. Les données produites sont accessibles sur les points de téléchargement habituels des données OpenStreetMap et sont réutilisables selon les termes de la licence ODbL. D’autres initiatives industrielles ayant réellement restitué la connaissance produite pour leur réalisation sont rares alors qu’une mise en commun s’impose pour s’adapter.

D’autres publications peuvent également vous inspirer pour y participer ou le reproduire dans vos activités respectives :

La presse en a parlé